Aller au contenu

 

Sorties culturelles

Découvertes livres

8 novembre 2007

Mokhtar Liamini, doctorant en génie mécanique

Le nid du serpent, Pedro Juan Gutierrez

Après avoir lu un roman de Pedro Juan Gutierrez, nous ne voulons faire qu'une chose, et c'est de le relire. Rares sont les livres qui nous marquent autant et qui nourrissent cette chose en nous qui dit qu'il ne faut rater aucun mot, aucun point, aucune virgule, et qui nous demande de relire tout un chapitre pour être sûr de n'avoir rien manqué.

Pedro Juan Gutierrez est un écrivain cubain né en 1950. Il a exercé une multitude de métiers : marchand de glaces, coupeur de canne à sucre, dessinateur industriel, journaliste, peintre et sculpteur. Il est l'auteur de romans à succès comme Animal tropical et Trilogie sale de la Havane qui forment avec Le nid du serpent un tableau autobiographique fantastique. Il est reconnu aujourd'hui comme l'un des plus grands écrivains cubains.

Le nid du serpent, son dernier roman, raconte la vie d'un adolescent cubain vivant pendant les années 60 dans la ville de Matanzas, près de la Havane. Prénommé Pedro Juan comme l'auteur, l'adolescent vit dans une jeune république socialiste où le luxe et le libertinage du passé cèdent peu à peu place aux privations et au contrôle idéologique.

Entre un père dépressif et une mère réfugiée dans le souvenir d'un passé plus faste, il découvre la vie au gré de ses escapades. Il pêche des crabes pour quelques pesos et s'initie au sexe dans les bras de femmes plus âgées, à moitié dingues, possessives et marquées par les anciens amants et maris. Arrive l'appel du service militaire et son dur quotidien : dégager les voies pour faire place aux champs de la révolution agricole en marche. Les permissions sont autant de bulles d'oxygène dans un environnement chaotique où la jouissance se mêle à la nausée.

Pour ne pas sombrer dans la dépression générale, Pedro Juan confie son âme aux livres d'une bibliothèque qui abrite les plus grands noms de la littérature étrangère… des livres déjà interdits par la censure, mais qui nourrissent l'auteur-narrateur d'un anticonformisme que l'on retrouvera dans son œuvre. Parlant justement de l'écriture qui est pour lui un «exercice diabolique», il sait déjà, très jeune, quelle sorte d'écrivain il veut être : «À dix-huit ans, j'ai très bien vu que mon écriture n'aurait jamais pour but de plaire et de divertir. Elle ne ferait jamais passer un agréable moment à un public bienséant, pusillanime et blasé. Au contraire : pour ces gens-là, mes livres seraient une épreuve, parce qu'ils secoueraient leurs certitudes et les bonnes manières. Ils allaient me détester.»

Dans Cuba, tel que décrit par l'auteur, la réalité dépasse la fiction. La survie est un combat quotidien dans lequel quelques échappatoires demeurent : la religion, servie par des santeros adeptes de Changgo et autres divinités africaines, les églises sont délaissées au profit des rites païens et de la superstition. L'alcool, rhum ou eau-de-vie fait maison, véritables tord-boyaux, et surtout le sexe! Là, âmes sensibles s'abstenir, Pedro Juan Gutierrez en parle souvent et crûment, à grand renfort de détails scatologiques. Le sexe est ici loin d'être aseptisé et romantique, il est folie, violence, bestialité.

Le lecteur est prévenu que le livre est une fiction, mais au fil des phrases et des paragraphes, il découvre que l'auteur ne fait qu'un retour sur son adolescence. Pedro Juan Gutierrez parle toujours de lui dans ses romans, il en parle merveilleusement bien et il écrit comme il parle. Ses méditations philosophiques ont pour toile de fond un décor vrai, tranchant où la vie laisse souvent place à la survie.

Un seul regret demeure, pour le lecteur francophone, celui de ne pas pouvoir lire Pedro Juan Gutierrez en espagnol. Pour ma part, le pari est fait de pouvoir le lire, ainsi que Gabriel García Márquez, dans la langue de Cervantès.

En collaboration avec :